Ce matin, ce n’est clairement pas la grande forme. Je suis songeur, silencieux et renfermé. Même une balade en forêt avec Bélie a été impuissante à m’apaiser avant de commencer à travailler. C’est dire…
Pas tellement désireux de poursuivre la journée en mode « morosité ronchonne », je décide de me poser pour réfléchir. Et face à ce que nous traversons actuellement, j’ai bien envie de donner plus de place à notre existentiel.
Pour mener ma réflexion, je prends le parti de la structuration du temps en trois espaces: l’avant Covid19, le pendant et l’après Covid19.
Nous pouvons reconnaître les deux premiers espaces (avant et pendant) dans notre manière de « vivre, d’expérimenter, de refuser, de marchander ou de traverser » ces derniers mois et ces dernières semaines. Le troisième espace, c’est quand nous manifestons de l’impatience à écouter notre première ministre ou quand nous spéculons sur le comment sera l’après, comment nous le vivrons, ce qui nous sera possible ou permis, quelle sera notre liberté et comment nous pourrons l’utiliser.
Dans l’avant Covid19, nous nous étions habitués à « fonctionner » de manière très ritualisée. Les temps de la semaine, du lever au coucher, métro-boulot-dodo comme on dit. Ceux du samedi consacrés à la famille, aux courses, au jardin, aux mouvements de jeunesse, aux amis… Puis ceux encore différents du dimanche: grasse matinée, sport entre copains, dîners de famille, balade avec les enfants et leurs copains, etc.
Pendant le Covid19, avec l’arrêt annoncé et imposé, nous assistons dans un premier temps à un cortège d’étrangetés: la recherche hystérique de papier hygiénique, le pillage systématique des rayons de farine, de riz et d’huile. Puis intervient une sorte de résignation avec de nouveaux rituels et l’émergence d’émotions différentes. Le calme après la tempête. Et de nouveau, des bouleversements nous voient encore et encore changer, encore faire évoluer, transformer nos manières de faire, de vivre, de ressentir.
Pourtant, en posant la question amicalement, les gens me disent : « bon, tu sais, depuis le début, c’est toujours la même chose ! On ne se pose pas trop la question. On avance. Et ça n’avance pas. »
Et pourtant, nous changeons, même sans nous en apercevoir. Insidieusement, le confinement nous transforme de l’intérieur. Nous le savons inconsciemment, nous le sentons dans nos tripes. Les propos que l’on me rapporte vont dans ce sens: « je ne me reconnais pas… »; « même il y a quelques semaines, ce n’était pas comme cela, je me vois instable… »; « je me sens coupable… »; « je n’ai plus rien sur quoi me baser, je suis perdu(e)… »; « ce que je ressens est tellement different de d’habitude, c’est tout mou autour de moi… »; « je suis brassé(e) émotionnellement, j’ai des crises d’angoisse sans savoir d’où cela provient… »; « j’ai de drôles de réactions… »; etc
Faisons une pause, le temps d’écouter « Effets Secondaires », la chanson que vient de composer Grand Corps Malade sur le thème qui nous occupe aujourd’hui:
Cette chanson de Grand Corps Malade m’avait parlé lorsque je l’ai découverte il y a quelques semaines. Je l’ai relue aujourd’hui alors que se profile timidement l’après Covid19 et elle me parle différemment. Je lis des choses autres, je retiens et cela résonne autrement.
Oui, bien sûr qu’il peut y avoir des effets secondaires positifs, bien sûr le monde
peut tourner autrement, nous pouvons faire d’autres choix, notamment de société. J’ai pourtant la sensation de traverser, de connaître une régression dans mes ressentis, mes attitudes. Le confinement me semble long, trop long, ça avance trop lentement, je n’en peux plus.
Si des effets secondaires constructifs sont possibles, comme dans le film « Collateral Beauty », il me semble nécessaire de traverser les phases de deuil pour enfin transformer cette situation et éprouver un bilan qui révélera des aspects négatifs comme positifs.
Et je perçois que le deuil m’est impossible aujourd’hui. Mon noyau, ma force, mon moi intime connaissent une sorte d’insécurité majeure intérieure, comme si j’étais en mode survie.
J’avais connu cet état il y a 10 ans, lors du tremblement de terre au Chili. La terre avait tremblé au large de Salvador et nous l’avions ressenti dans notre sommeil. Je ne savais plus où m’accrocher, à quelle sécurité me référer, comment avancer sans me faire écraser.
Nous avions alors agi pour assurer une sécurité de nos actifs et de notre peau. Nous avions été attentifs alors aux signaux même faibles qui pouvaient nous aider à être proactifs. Enfin, tout aussi important, nous avions recherché la sécurité intérieure en prenant soin de nous. Comme dans les avions. D’abord s’accrocher le masque à oxygène avant de l’accrocher à nos proches, c’est la condition pour pouvoir nous occuper des autres de manière safe. Je vous proposerai prochainement un outil modèle que nous avions construits à l’époque: la spirale du sens et de la résilience.
D’ici-là, prenez soin de vous et des autres.